Ploutocratie

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Ploutocratie

Messagepar yann sur Lun 28 Avr 2008 15:04

Ploutocratie

Il est un fait incontestable : la société française est en voie de ploutocratisation avancée. Les grandes fortunes grossissent, puissamment aidées en cela par le cynisme d’une politique fiscale des plus avantageuses. Les paravents de papier que sont l’aisance de la frange supérieure des classes moyennes et le faux-semblant d’une démocratie déconfite ne parviennent plus à nous dissimuler vraiment le pouvoir éhonté de l’argent. La collusion entre le pouvoir économique et le pouvoir politique est plus que jamais à l’œuvre sous le couvert de la double fatalité prétendue que constituent la libération salutaire de toutes les forces du Marché et le renoncement inévitable de la République à son devoir de solidarité envers les plus faibles. L’arsenal de la répression se met en place chaque année davantage pour permettre si besoin était de réprimer demain tout ferment de révolte populaire contre la ploutocratie. Le « talon de fer » magistralement décrit par Jack London en 1907 est en passe de trouver sa pleine vigueur concrète un siècle plus tard.
Les PDG de France sont les mieux payés d'Europe. En 2007, 77 % des grands patrons d'entreprises françaises ont vu leur rémunération s’envoler (1). Ainsi, la rémunération annuelle de ceux du CAC 40 dépasse les 6 millions d'euros en incluant les bonus et stock-options. Celle des dirigeants des sociétés les moins importantes du CAC 40 et des plus importantes de l'indice élargi SBF 120, atteint 2,6 millions d'euros. Quant aux patrons des plus petites entreprises du SBF 120, leur rémunération se situe tout de même à 882.000 euros. L'augmentation importante des rémunérations des grands patrons en 2007 provient surtout de l'explosion des bonus et de la valorisation des stock-options. Ces derniers ont augmenté de 48 % pour 58 % des 135 entreprises étudiées. Par ailleurs, un tiers des entreprises distribuent ces actions quelle que soit la « performance » du dirigeant, et de plus en plus de PDG bénéficient d'un « parachute doré » à percevoir au moment de leur départ. En 2007, ils n'étaient plus que 39 % à ne pas bénéficier de cet avantage suprême contre 60 % en 2006. Dans l’état actuel de l’évolution des pratiques et des discours néolibéraux on a peine à imaginer que cette spirale débridée connaisse un ralentissement dans les années à venir. Ce ne sont pas les médiatiques gesticulations parisotiennes dirigées contre la branche pourrie de l’UIMM menaçant l’arbre du Medef tout entier qui y changeront quoique ce soit.
Le bradage du bien public aux intérêts mercantiles des entreprises privées ne peut qu’aiguiser le vorace appétit de l’élite patronale indécemment promotionnée par la médiacratie régnante. Citons trois exemples parmi tant d’autres… La réforme du livret A par laquelle on va dramatiquement compromettre le financement du logement social pour le plus grand bonheur de l’exacerbation de la concurrence entre les banques recherchant l’argent frais destiné à intensifier encore l’économie à crédit. La « révision » du statut de la Sécurité Sociale promise pour l’été prochain par laquelle on va entériner juridiquement le remplacement du risque collectif de santé (pris en charge par la communauté nationale) par le risque individuel (transféré aux marchands d’assurances privées) et la substitution de la TVA sociale aux cotisations patronales. L’instauration par M. Xavier Darcos de la commission chargée d’élaborer les stratégies d’adaptation de l’Ecole à « la société de l’information », commission où 85 % des membres sont issus du marché de l’informatique et où les représentants de l’Education nationale ne sont qu’au nombre de quatre avec, qui plus est, des prérogatives très limitées. Tout cela ne peut que concourir puissamment au renforcement des oligarchies financières et commerciales, à l’affaiblissement des politiques publiques dans les domaines sanitaire, éducatif et social, à la fragilisation des groupes sociaux les moins favorisés.
Hélas ! c’est la classe politique dans sa grande majorité qui semble avoir définitivement troqué le service de l’intérêt général contre l’empressement à satisfaire des intérêts très particuliers. Le franchissement répété de la ligne séparant le pouvoir politique du pouvoir économique insulte gravement l’idéal démocratique. Montesquieu le disait déjà. Notre époque le conforterait dans sa crainte : « Les politiques grecs qui vivaient dans le gouvernement populaire, ne reconnaissaient d'autre force qui pût le soutenir que celle de la vertu. Ceux d'aujourd'hui ne nous parlent que de manufactures, de commerce, de finances, de richesses, et de luxe même. Lorsque la vertu cesse, l'ambition entre dans les coeurs qui peuvent la recevoir, et l'avarice entre dans tous. » (2) La vertu qui a déserté le sommet de l’Etat n’est pas seulement remplacée par l’ambition ou la compromission, elle laisse aussi la place à l’arrogance et à l’autoritarisme. On le devine désormais : les hommes du pouvoir politique sont prêts à aller très loin dans la défense des privilèges qu’ils partagent avec les affairistes. Ils le feront sans sourciller en espérant l’adhésion irréfléchie du peuple comme Jean Jaurès l’avait lui-même si bien compris. "On ne connaît pas assez parmi nous la force des classes contre lesquelles nous avons à lutter. Elles ont la force et on leur prête la vertu ; les prêtres ont quitté la morale de l'église pour prendre celle de l'usine ; et la société tout entière, dès qu'ils seront menacés, accourra pour les défendre." (3)
Le peuple sera-t-il dupe longtemps ? Les élections municipales viennent de se tenir en France. Voici leur enseignement premier que la classe politique a fort peu commenté et dont la leçon ne sera probablement pas tirée de sitôt : depuis que les Français élisent leur maire, jamais leur abstention n’avait été si forte ! Et s’il s’agissait là d’une prémonition populaire à faire fructifier ?

Mars 2008


1 - Etude de Hay Group publiée par le quotidien La Tribune du 12 février 2008.
2 MONTESQUIEU, L'ESPRIT DES LOIS , Livre III, chap.3 ‘1748).
3 – Cité par Anatole France dans sa préface à l’édition de 1923 du Talon de fer de Jack London.
yann
 
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