Transparence

Modérateur: yann

Transparence

Messagepar yann sur Lun 28 Avr 2008 15:20

Transparence

Tout savoir sur quiconque, au nom de l’éradication complète du crime, de la délinquance, de l’idée subversive ou de l’opinion simplement contraire : tel est le vieux rêve du chef omnipotent. En 2004, la Technique rend cet espoir totalement réalisable, avec seulement vingt ans de retard sur la prédiction de George Orwell. Seule la faiblesse politique empêche le franchissement de l’ultime barrière entre le possible et le probable. Cette faiblesse doit beaucoup au fait que l’on gouverne à l’opinion. Tant que celle-ci laisse supposer une éventuelle résistance au projet de surveillance totale, on se retient. Le travail d’inculcation générale par les médias de masse anéantit chaque jour davantage la capacité réelle de résistance et, pire, la volonté de penser autrement.
Tout voir, tout mettre à nu, faire de toute chose un objet transparent, afin qu’aucun acte répréhensible n’échappe à la nécessité de sa punition. En la matière, le gouvernement de M. Raffarin semble ne pas accepter l’accusation de faiblesse. Il devient chaque jour un peu plus fort. La loi Perben II et le transfert de pouvoir de la Justice vers la Police qu’elle organise est là pour nous convaincre que l’heure n’est plus à la mollesse des gardiens de l’Ordre. Comme l’a déjà dit une fois notre Premier ministre il est temps de siffler la fin de la récréation. L’heure est plutôt à l’extension des écoutes téléphoniques, à la pose de microphones dans des lieux privés, au quadrillage du territoire en radars et caméras toujours plus puissants, à l’infiltration par la police de « réseaux » en tout genre pour débusquer les malfrats, à la fourniture aux dits malfrats des moyens logistiques facilitant leur passage à l’acte et, du même coup, leur interpellation en flagrance, à l’allongement de la garde-à-vue, à l’institution de la « perquise » nocturne. Que la liste est longue et non exhaustive ! On y ajoutera le changement de statut de la messagerie électronique : désormais les messages circulant par l’Internet sont de la correspondance publique pouvant être lue et stockée par la Police. On note combien l’Homme a progressé dans la recherche du contrôle social depuis le panopticon de Jeremy Bentham. Sa tour circulaire permettant de surveiller toutes les cellules d’une prison tout aussi circulaire fait pâle figure en regard de l’arsenal dont dispose aujourd’hui les sbires serviles de nos dirigeants.
Les braves gens s’empressent de venir à leur secours. Quand on n’a rien à se reprocher, on n’a pas à s’effrayer de l’arsenal technico-juridique déployé en ces temps bénis de la Transparence. Que, tous, nous soyons des suspects ne dérange pas l’honnête homme se croyant définitivement à l’abri de la bavure. Puisque tout ça, c’est pour la bonne cause, pour protéger la fillette du pédophile, pour mettre la main sur le trafiquant de drogue, pour désamorcer les desseins terroristes…Combien sont-ils ces braves gens ? On ne le sait. En revanche, il est certain que leur nombre croît au fil de la plume et de la parole des défenseurs de cet ordre-là. Nous devons compter au rang de ces défenseurs tous ceux qui, alors qu’ils ont le loisir de parler ou d’écrire, ne bronchent pas ou si faiblement que leur murmure vaut consentement.
On aurait grand tort de croire que la volonté de Transparence et la possibilité de surveillance sont réservées à la nécessaire répression des crimes et délits. Sur ce point, une dernière chose quand même. Nous laisserons en suspens, faute de place, le traitement d’une question : il y a crime et crime, délit et délit, ceux que l’on réprime durement et ceux dont on excuse ou plaint les auteurs. C’est la gestion de l’économie et l’organisation de la vie quotidienne qui doucement s’enfoncent dans l’océan de la surveillance sans faille. A la fin de cemois se tiendra à Paris le salon de la traçabilité. Les chefs d’entreprise sont conviés à venir y tester les diverses méthodes leur permettant de « suivre en temps réel leurs produits et leurs flux logistiques ». De plus en plus de biens de consommation contiennent des puces détectables à tous moments pour peu qu’ils se trouvent à proximité d’un capteur. Ainsi, un vêtement renfermera une puce renseignant sur les mensurations de la personne qui le porte chaque fois qu’elle franchira l’enceinte d’une boutique. En Allemagne, « le magasin du futur » teste les multiples puces destinées à la surveillance du consommateur. Cette surveillance qui ne dit pas son nom ne finit-elle pas par nous rendre presque naturelle la surveillance qui dit son nom ? Doit-on chercher ailleurs les raisons de l’acceptation de Big Brother ?
Le caché est suspect ; le non-dit traqué. Il n‘est plus guère de place pour l’incertain, l’imprévu. Chacun n’apporte-t-il pas sa pierre à l’édification du mythe de la Transparence ? Au nom du principe de précaution poussé à son comble, ne va-t-on pas perdre de vue les vrais dangers cachés derrière la peur de tout ce qui nous environne. Prenons garde à ne pas tomber dans un hyper-hygiènisme aveugle. La surveillance de tous contre tous, voilà l’ennemie. Les hommes qui seront capables demain de la combattre, tel Winston Smith dans « 1984 », feront œuvre salutaire. Encore faudra-t-il dépasser la fascination de la technique, changer de fétiche.

Yann Fiévet
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