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La première et la dernière personne (chronique interdite)

MessagePublié: Lun 28 Sep 2015 09:12
par yann
La première et la dernière personne


Pour la seconde fois seulement en plus de vingt et une années le « leurre de vérité » sera décliné à la première personne . Un leurre inhabituel, un leurre de déception . De déception profonde et de colère impossible à garder pour soi. Ainsi, je n’ai pas aujourd’hui le cœur à exprimer autre chose que ma réprobation face au traitement infligé au militant breton de toujours qu’est Herri Gourmelen. Ce leurre sera un leurre pour rien puisqu’il n’a pas pour but de rattraper une décision irrévocable : Herri a démissionné du parti auquel il a tant donné pendant plus de quarante ans et n’a, je l’imagine, aucune intention de reprendre son geste. Un leurre désintéressé puisque l’intéressé ne m’a rien demandé. Ce n’est même pas par lui que j’ai appris cette démission qui semble sonner comme un aboutissement. Un leurre pour rien également s’il ne devait pas être publié. Tout simplement « un leurre d’amitié » pour affirmer… une sincère amitié. Un leurre qui sera lettre morte mais que je dois écrire.

Ma colère ne concerne pas le fond de l’affaire. Il arrive que la forme prenne le pas sur le fond des choses. Du reste, Herri Gourmelen ne quitte pas l’UDB parce qu’il est en désaccord – même profond – avec la ligne politique adoptée par la « nouvelle équipe » en vue des prochaines Régionales. Certes, il fait partie des « huit de Pontivy » qui ont proclamé, avec des arguments, une position différente de l’option majoritaire. Mais, voilà que l’on suspend Herri, qu’il est sommé de venir s’expliquer comme un vulgaire militant de base d’une obscure section dissidente, de venir faire en quelque sorte son autocritique comme au bon vieux temps du centralisme démocratique qu’il contribua largement, osons le rappeler, à faire abandonner par l’UDB il y a bien longtemps désormais. C’est cela que le militant chevronné – et reconnu - n’a pu supporter et c’est cela qui nourrit ma colère. Je ne sais pas qui était à la manœuvre dans cette hasardeuse entreprise et ne souhaite pas en connaître davantage. Il est des procédés qui déshonorent ceux qui les utilisent. Pour le cas où Herri Gourmelen aurait des comptes à rendre ce n’est certainement pas à un quelconque « commissaire politique » ou à un « tribunal du peuple » improvisé qu’il les doit. Son engagement pour la cause de la Bretagne et son passé d’élu – municipal et régional – pourraient suffire à contredire ceux qui semblent bien peu assurés de la justesse de leur stratégie d’alliance pour commettre une telle bévue.

Qu’il me soit permis ici d’entrer dans la petite Histoire. Je vais vous parler d’un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître.
Entre 1984 et 1986, l’Union Démocratique Bretonne vécut une grave crise interne qui a longtemps laissé des traces. Jusqu’en 1984 le pouvoir du parti était largement concentré à Brest (« Affaires extérieures », « Moyens », équipe et imprimerie du Peuple Breton…). Le Bureau politique élu par le Congrès National de 1984 à Lorient désigna Herri Gourmelen comme nouveau responsable des Affaires extérieures de l’UDB. Le poste clé du parti échappait ainsi à la « sphère brestoise » puisqu’Herri Gourmelen vivait à Saint-Malo où du reste il était élu municipal. Si Herri se doutait bien que sa tâche ne serait pas facilitée par un certain nombre de membres du nouveau Bureau politique il n’imaginait probablement pas à quel point les deux années à venir allaient être éprouvantes. Les membres du BP issus des fédérations de Brest-CUB et du Bas-Léon firent très vite bloc pour s’opposer très régulièrement aux orientations proposées par le nouveau responsable des Affaires extérieures.

A chaque réunion mensuelle du BP une nouvelle querelle «était fomentée, le « groupe des sept » s’entendant à merveille dans la répartition des rôles lors des attaques visant Herri ou tout autre membre du BP identifié comme soutien de « la nouvelle ligne » qui ne fut pourtant jamais remise en cause. Oui, on ne sut jamais clairement quel était le fond du désaccord formé par le « clan minoritaire ». Nous vécûmes des épisodes même cocasses bien que pénibles. Lors de l’un de ces dimanches mémorables plusieurs de nos finistériens ne s’exprimèrent qu’en breton car, dirent-ils, leur fédération les avait mandatés en ce sens. Cela obligea à trouver dans « le camp d’en-face » des volontaires pour accepter de traduire les propos tenus par les ‘opposants » puisque les statuts de l’UDB n’imposent pas que les membres de son Bureau politique soient bretonnants. Une autre fois, alors que je présentais un texte sur l’emploi, un des protagonistes tenta de tuer le débat dans l’œuf par un aphorisme qui n’est malheureusement pas passé à la postérité : « le mois de juin n’est pas un bon mois pour parler de l’emploi ». On en parla néanmoins mais, face à de nouvelles obstructions le débat fut reporté. On connait la suite de l’histoire : après deux ans d’opposition stérile, le clan des sept quitta l’UDB pour fonder Frankiz Breizh. Il fallut ensuite des années pour commencer à reconstruire l’UDB dans le nord du Finistère.

Pourquoi être revenu ainsi sur ce passé lointain ? D’abord parce que pour nous il n’est peut-être pas si lointain. Mais surtout parce que sans la ténacité d’Herri Gourmelen et de plusieurs de ses alliés de l’époque l’UDB a survécu à cette guerre intestine orchestrée par une minorité n’acceptant pas de partager le pouvoir et considérant peut-être qu’en dehors de Brest le combat breton n’est pas très sérieux. Nous n’eûmes pas besoin de dresser un tribunal spécial pour éliminer les trublions. Ils s’essoufflèrent, certes en nous essoufflant sérieusement, avant de s’éclipser. Je ne crois pas avoir bien mesuré à l’époque ce que l’UDB devait au courage déployé par Herri Gourmelen au cours de ces années . Il songea peut-être à démissionner plus d’une fois alors, des camarades malouins plus proches de lui que moi en furent peut-être témoins. Il n’en fit rien et n’en laissa rien paraître. Alors, rétrospectivement : merci Herri pour cet exemple qui me servit ensuite en d’autres lieux.

Herri Gourmelen est donc bel et bien la dernière personne, au sein de l’Union Démocratique Bretonne , à devoir battre sa coulpe.
Et, qui sait ? L’Histoire, demain, pourrait encore lui donner raison !

Yann Fiévet
Septembre 2015