Lubrizol brûlait et ils regardaient le cercueil de Chirac

Modérateur: yann

Lubrizol brûlait et ils regardaient le cercueil de Chirac

Messagepar yann sur Jeu 28 Nov 2019 17:04

Lubrizol brûlait et ils regardaient le cercueil de Chirac


Avec le recul nécessaire à l’analyse des faits, il nous faut revenir sur un télescopage médiatico-politique des plus fâcheux. Dans la nuit du 25 au 26 septembre dernier, un gigantesque incendie frappa l’usine chimique Lubrizol de Rouen, usine classée Seveso en raison de l’extrême dangerosité des produits qui y sont stockés de façon croissante depuis plusieurs décennies. Cependant, ce qui semble bien être, à l’épreuve des révélations ultérieures, un non moins gigantesque scandale d’Etat fut mis plusieurs jours sous le boisseau par les médias de masse devenus depuis longtemps incapables de distinguer les vrais priorités de l’information. Dans la matinée du 26 septembre, la France entière apprit en effet, par un emballement médiatique grandiose, la mort de Jacques Chirac, ancien Président de la République. Immédiatement on écarta tout autre sujet d’actuallité, on diffusa de longues éditions spéciales en partie déjà opportunément préparées, on se lança fébrilement en quête de tous ceux qui viendraient rendre ex abrupto un vibrant hommage au grand homme. Sur France Inter, par exemple, on assuma courageusement le chamboulement des valeurs : nous sommes contraints de donner la priorité au décès de Jacques Chirac, nous reviendrons plus tard sur l’incendie de Rouen. Et, cela dura près d’une semaine.

C’est peu dire que la baudruche médiatique fut en la circonstance gonflée à bloc. On en fit des tonnes sur la sympathie qu’inspirait la personne de Jacques Chirac. Certes il aimait le contact humain, appréciait de rencontrer et dialoguer avec ses concitoyens de toutes conditions sociales. Il y a bien sûr en cela un vrai contraste avec l’attitude de ses successeurs. On fut beaucoup moins honnête avec le bilan de l’homme politique. On grossit quelques faits marquants indéniablement positifs pour mieux cacher les zones d’ombre et les troubles manigances de l’homme de pouvoir peu original que la politique traditionnelle nous a depuis longtemps enseigné. Les médias les moins ambitieux quant à la véracité des faits surfèrent allègrement sur les apparences des choses, celles que le peuple les garde longtemps en mémoire qui plus est en les enjolivant. Comme le même peuple a en revanche oublié depuis longtemps certains évènements fort gênants il parut inutile de lui rafraîchir ses défaillants souvenirs. On se borna alors à de brèves allusions, souvent quelque peu contradictoires au regard de la vérité historique. C’est pourtant bien cet homme glorifié qui décida au moment même de la commémoration du cinquantenaire de Hiroshima de reprendre les essais atomiques de la France dans le Pacifique. C’est bien le même Jacques Chirac qui fit renverser en Côte d’Ivoire le président Bédié, le 24 décembre 1999, en étroite fidélité à la tradition françafricaine. Bien avant ces actes de Président de la République, il n’était probablement pas pour rien non plus, en 1979, dans le « suicide » de Robert Boulin qui commençait à lui faire de l’ombre dans son ascension vers le sommet du pouvoir. Sur tout cela : motus ! En revanche, les médias se gargarisèrent de la célèbre phrase prononcée en 2002 à Johannesburg - « La maison brûle et… » - alors que le bilan du bonhomme en matière d’écologie fut proche de zéro, ce que nous payons au comptant aujourd’hui.

Le soufflé émotionnel finit enfin par retomber. Du reste, l’émotion n’avait pas été aussi massive que l’on tenta de nous en persuader, de nombreux citoyens n’étant pas prêts à céder trop facilement aux injonctions des éditorialistes patentés. A Rouen, par exemple, on avait au cours de cette parenthèse outrancière, d’autres papillons à chasser comme le dit un autre « ami de l’Afrique ». Il fallut plusieurs jours pour éteindre l’incendie de l’usine Lubrizol de laquelle s’échappaient d’épaisses fumées issues de milliers de tonnes de produits nocifs en combustion. Les retombées toxiques s’étendaient sur plusieurs départements, l’air était irrespirable. La coupable légèreté du Préfet de Seine-Maritime et du Gouvernement ne pouvait alors qu’alimenter l’angoisse des dizaines de milliers d’habitants directement concernés par la catastrophe. On leur serinait que les analyses de l’air, de l’eau et des sols ne révélaient rien d’anormal tandis que dans « le même temps » on n’était incapable de communiquer la liste des produits stockés chez Lubrizol. La liste qui finit par en être révélée est probablement incomplète tant l’incurie et l’incompétence règnent dans l’histoire de ce site industriel. Ainsi, la direction de l’entreprise Lubrizol a demandé à Normandie Logistique - sa voisine immédiate qui elle-même a flambé - de stocker des produits dangereux en infraction à la législation des installations classées pour éviter des procédures d’autorisation onéreuses alors même que l’entreprise Normandie Logistique n’est pas une entreprise Seveso et n’avait donc pas les compétences ni le matériel (les cuves) pour stocker des produits dangereux en toute sécurité. Incontestablement, ces deux entreprises ont donc eu un comportement criminel. Et que dire des pouvoirs publics ? ce sinistre est la conséquence directe des réformes législatives dans les installations classées depuis 10 ans visant à alléger toujours plus les conditions de sécurité. Les PPRT sont précisément des plans qui permettent d’éloigner les installations classées dangereuses des habitations, notamment en interdisant toute construction d’urbanisme à proximité. C’est une des conséquences juridiques de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse le 21 septembre 2001. Le PPRT de Lubrizol a été acté en 2014 après enquête publique. Le rapport du commissaire enquêteur y donna un avis favorable sans aucune recommandation particulière. Depuis on a même envisagé la construction d’un éco-quartier à proximité de Lubrizol ! C’est aussi à trois cent mètres de l’enceinte de l’usine mortifère que vivent, sur un terrain octroyé par les « autorités locales », des dizaines de familles de gens du voyage qui n’ont pas été évacuées quand l’alerte de l’incendie fut donnée. Légèreté, disions-nous ? Le mot est plus que faible !

Après ces quelques jours de la fin septembre où l’émotion politico-médiatique s’est superbement trompée de cible est-il encore possible de rêver d’une société réellement attentive aux vraies préoccupations du plus grand nombre de nos congénères ? Une société soucieuse d’une écologie tournée vers l’avenir au lieu qu’elle cultive une nostalgie envers un passé depuis longtemps révolu. Notre époque est folle, rendons-la plus humaine. Sinon…



Yann Fiévet
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