Immersion

Modérateur: yann

Immersion

Messagepar yann sur Jeu 8 Juil 2021 12:11

Immersion


Pendant que les multitudes qui piaffaient d’impatience depuis des mois se ruent sur les terrasses de bistrots ou dans les « salles obscures » un inquiétant climat socio-politique se met doucement en place en France. Le déconfinement libératoire des corps cache aux yeux des déconfinés les moins regardants une autre libération, celle des esprits les plus étriqués, qu’il va être difficile de contraindre. A onze mois de la prochaine élection présidentielle la société française s’immerge inexorablement dans les profondeurs insondables de l’océan du tout-sécuritaire. A chaque nouvelle échéance politique majeure cette vague-là enfle et recouvre des rivages jusque-là préservés. Pourtant, il se pourrait que cette fois les flots fassent définitivement, si nous n’y prenons garde, perdre pied à la démocratie.

Les digues, une à Une, cèdent sous les assauts de la tumultueuse marée montante. Le dernier point d’orgue en la matière – mais sûrement pas l’ultime – s’est incarné sans conteste dans les remous que suscita la récente manifestation de la police devant l’Assemblée Nationale. La volonté policière d’intimider le pouvoir politique en place s’accompagna en cette occasion de deux funestes nouveautés : le Ministre de l’Intérieur lui-même se joignit à la manifestation ; tous les partis politiques, à l’exeption de la France Insoumise, y envoyèrent leurs représentants les plus en vue. Comment est-il possible que des responsables politiques de premier plan se laissent aveugler à ce point ? La police est mécontente ? Les policiers sont à bout ? Oui, mais il faudrait mesurer attentivement les raisons véritables du mécontentement et du désarroi des « forces de l’ordre ». A l’examen, les gesticulations de Gérald Darmanin ne résistent pas longtemps. Il s’offusque bruyamment des quelques policiers tué en service commandé – morts évidemment toujours regrettables – pour mieux cacher d’autres causes du malaise de la police. Le nombre de suicides de policiers est chaque année autrement plus élevé et l’on sait qu’ils sont dus au manque de moyens donnés à la police pour son fonctionnement normal tout comme au défaut de considération de l’Etat pour le travail quotidien des policiers, à commencer par le nom paiement de très nombreuses heures supplémentaires pourtant dûment effectuées. Alors, qui est vraiment responsable de l’insécurité de la police ? Au passage, nous pouvons signaler que les syndicats majoritaires de la police évoluent eux-mêmes en eaux trouble préférant mettre au premier plan le laxisme supposé de la Justice. Enfin, que sont allés faire dans cette galère les partis dits de gauche ? Ils paraissent avoir très rapidement oublié les trop nombreuses victimes des « violences policières » de ces dernières années.
Et, de surcroit, ils semblent mettre sous le boisseau le fait que la police française vote déjà à 60% pour l’extrême-droite.

La pente mortifère vers le tout-sécuritaire n’est pas qu’une affaire de police. Elle serait alors assez facile à ralentir. Elle est bien davantage affaire de contexte général où la surenchère des fonds de commerce fait florès. A ce jeu-là l’actuel hôte de l’Elysée qui souhaite garder le pouvoir en 2022 mène la danse. A défaut de s’approprier toutes les fulgurances de la pensée d’Antonio Gramsci – ce qui lui est intellectuellement impossible – il en est néanmoins une qu’il a parfaitement assimilée : la conquête du pouvoir doit être précédée de « l’hégémonie culturelle ». On entend là non pas l’investigation des lieux de culture, plutôt tenus par la pensée de gauche, mais l’instillation de façon majoritaire au sein du corps électoral de ce que l’on peut nommer un « sens commun ». La formation de ce dernier est affaire de « boîtes-à-idées », de médias de masse dominants, de réseaux sociaux manipulables, de pathétiques « concours d’anecdotes » pour jeunesse échevelée, etc. En 2017, le sens commun sur lequel Emmanuel Macron s’est fait élire était la poursuite à outrance de la libération de l’économie au service du « redressement national » et, notamment, pour la création massive d’emplois. Cela n’a pas fonctionné, tout le monde le sait maintenant. Comme on ne peut faire le coup une seconde fois il convenait d’inventer un nouveau sens commun. On décide alors de chercher des coupables et rapidement on en trouve. Tous ceux qui empêchent la société et son économie de tourner en rond son désignés à la vindicte populaire : les migrants, les fomenteurs de « séparatisme », les « islamo-gauchistes qui gangrènent l’Univerdsité », les juges qui ne sont pas assez durs avec les délinquants et les criminels, etc. Le nouveau sens commun recouvre tout, devient envahissant, fait oublier, par exemple, que lorsqu’un ultra-riche gagne dix milliards d’euros de plus en un an quand ils en a déjà cent la stimulation de l’économie et la réduction des inégalités deviennent des gageures. Pour le vulgum pecus les possédants sont inaccessibles, mieux vaut alors s’en prendre à des « ennemis » de proximité fussent-ils innocents des maux qu’intentionnellement on leur attribue.

Les vrais empêcheurs des nécessaires transformations de la société et de l’économie au service de la justice sociale et de la préservation de l’environnement sont pourtant facilement identifiables. Il s’agit des firmes transnationales et de leurs multiples groupes de pression auxquels les pouvoirs publics n’ont de cesse de céder. Il n’est pas besoin de chercher longtemps pour trouver là de vrais délinquants ou criminels à qui l’immersion susnommée garantit une confortable impunité. « Mieux vaut Hitler que le Front populaire » disaient les industriels et affairistes des années Trente . Aujourd’hui encore ils laisseront faire pourvu que leur intérêts particuliers soient sauvegardés. La défense de l’intérêt général commanderait que les véritables périls de notre époque soient désormais clairement identifiés et vigoureusement combattus. Hélas, il semble que l’on soit loin de vouloir emprunter ce chemin-là. Il est plus facile, par exemple, de combattre l’enseignement « immersif » des langues régionales en méprisant ainsi ce pan de notre patrimoine commun. A ce tromper d’immersion on se prépare à vivre des lendemains fort douloureux.


Yann Fiévet
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